La poudre du néré : une richesse en voie de disparition au nord Bénin
La poudre de néré, autrefois prisée pour ses nombreuses vertus, est en passe de disparaître du quotidien des communautés du nord Bénin. Ce produit traditionnel, malgré ses multiples bienfaits, semble être délaissé par les populations locales au profit d’autres aliments, une tendance qui inquiète les spécialistes de la nutrition et les défenseurs des traditions.
Une mine d’or nutritionnelle à valoriser
On obtient la farine de néré en réduisant la pulpe jaune qui entoure la graine du fruit en poudre. Cela facilite sa conservation et permet de bénéficier de ses usages thérapeutiques, pâtissiers, et cosmétiques.
Selon Evènamia Jacques Allah et Waïdi Dognon, tous deux enseignants et formateurs en nutrition et technologie alimentaire, la farine jaune du néré est une véritable mine d’or sur le plan nutritionnel. Riche en protéines, calcium, et fer, elle est particulièrement recommandée pour les enfants et adolescents souffrant de malnutrition, car tous ces nutriments sont essentiels à la croissance de l’enfant.
« Sa richesse en protéines, oscillant entre 20 et 30 %, en fait une arme efficace contre le kwashiorkor, cette forme sévère de malnutrition qui frappe les enfants souffrant de carences en protéines. »
Waïdi Dognon, enseignant formateur en nutrition
Outre les protéines, elle contient des vitamines B et C, ainsi que des minéraux essentiels comme le calcium et le fer, contribuant ainsi au développement et au renforcement du système immunitaire des enfants. La combinaison de ces nutriments est cruciale, notamment dans les zones rurales où l’accès à une alimentation équilibrée est limité. La consommation régulière de poudre de néré aide non seulement à prévenir le kwashiorkor, mais aussi à lutter contre l’anémie et d’autres carences nutritionnelles. Waïdi Dognon insiste : « En intégrant cette poudre dans l’alimentation quotidienne des enfants, notamment en période de croissance, on peut prévenir des maladies comme le kwashiorkor tout en promouvant un développement physique et mental optimal. »
Du fait de ses propriétés nutritionnelles exceptionnelles, elle est aussi bénéfique aux femmes enceintes. Elles y trouvent un apport crucial notamment au moment de la grossesse puis de la lactation. Elle est aussi bénéfique, bien entendu, aux sportifs et aux personnes âgées.
En plus, la pulpe de néré intervient dans le traitement de diverses maladies. Elle aide à prévenir l’hypertension, réduit le risque de maladies cardiovasculaires, et favorise un bon transit intestinal. Elle possède des vertus toniques et antiseptiques, en plus d’être un aliment digeste et rassasiant.
Une tradition alimentaire chez les Baatombu
La poudre de néré occupe une place importante dans la culture des Baatombu. Selon KÈKÈ Sako, une septuagénaire résidente à Ouassa-Kika, cette poudre sert d’aliment de base dans sa communauté. La polyvalence de la poudre de néré permet de l’incorporer dans divers plats, comme la bouillie ou encore en mélange avec du lait ou de l’eau, facilitant ainsi son absorption par les jeunes enfants.
Elle est utilisée pour préparer de la bouillie en période de soudure, ou pour calmer la faim des enfants en la mélangeant avec de l’eau tiède et du lait caillé de vache. La pulpe de néré, selon M. DOGNON, peut être intégrée dans de nombreuses recettes, telles que les sauces, soupes, pâtisseries, jus, et smoothies.
En cas de maladies comme la fièvre typhoïde ou la varicelle, la poudre de néré mélangée à du miel est administrée aux enfants.
La vieille SERO Mèri Ganigui, vivant à Tobré, se souvient également de la bouillie « Garéssi », préparée à base de grains de sorgho et de poudre de néré, ainsi que du « Kpangnikpangni », un beignet prisé dans la communauté.
La poudre de néré est jalousement conservée pour le traitement de certaines maladies. Elle est utilisée pour soigner les morsures des couleuvres vivant dans les rivières, qu’on appelle « Daabonsikuré » en Baatonum (Bariba, une langue parlée au nord Bénin et au Nigeria), et qui sont réputées pour leur dangerosité. En cas de morsure, la victime ne doit pas s’éloigner et lance un cri d’alerte aux populations qui lui apporteront la bouillie préparée à base de la poudre du néré, conservée pendant deux ans environ. En cas de décès, la victime est enterrée sur la rive de la rivière. D’où le nom Daabonsikuré, qui qualifie ce redoutable reptile de responsable de la tombe sur la rive de la rivière.
Aux dires de la vieille Ganigui, cette poudre de néré, associée à d’autres secrets, peut être utilisée pour traiter d’autres maladies. Seuls les initiés Baatombu ont le secret de ces remèdes…
La culture Baatombu continue de protéger les arbres à karité et à néré, considérés comme des symboles de complémentarité dans le foyer. Selon la vielle KÈKÈ Sako, l’arbre à karité est pour l’arbre à néré ce que l’homme est pour son épouse. « À la cuisine, pour préparer la sauce, on met d’abord le beurre de karité avant d’ajouter la moutarde fabriquée à base des graines du néré », a-t-elle fièrement expliqué.
Un patrimoine culturel et alimentaire en danger
Malgré son importance, la poudre de néré est en train de disparaître des habitudes alimentaires, et les traditions qui l’entourent s’estompent.
Selon les vielles Sako et Ganigui, la diminution de l’importance accordée à la poudre de néré dans la société actuelle est liée à l’amélioration de l’autosuffisance alimentaire et à l’essor de la médecine moderne. Elle n’est plus autant consommée parce qu’il y a une autosuffisance alimentaire. Du coup, ce produit est relégué au second plan. Il y a assez de produits vivriers variés utilisés au quotidien dans les ménages. Les communautés ignorent aussi la valeur nutritive du néré en accordant une place beaucoup plus aux produits manufacturés importés.
Les nutritionnistes et les autorités à divers niveaux ont un grand rôle à jouer en organisant des campagnes de sensibilisation pour continuer à promouvoir les vertus du néré.
Par ailleurs, les grands parents doivent également aider la nouvelle génération en lui montrant les vertus thérapeutiques de cette poudre qui peut valablement remplacer les produits laitiers et autres.
Aujourd’hui, seule la pulpe intéresse encore quelques personnes, tandis que la poudre est souvent jetée après lavage des graines. Ces dernières sont vendues à prix d’or pour la fabrication de la moutarde communément appelée «Sonnrou» en Baatonum et «Afitin» en Fongbé. La richesse de la poudre de néré, sur le plan nutritionnel et culturel, mérite d’être redécouverte et valorisée pour les générations futures.
La poudre de néré est une solution naturelle et efficace contre la malnutrition infantile, en particulier dans les zones rurales du nord Bénin. En valorisant ce produit traditionnel, les communautés peuvent non seulement améliorer la santé de leurs enfants, mais aussi préserver un patrimoine culturel et créer des opportunités économiques. Sa richesse nutritionnelle en fait un aliment clé dans la lutte contre le kwashiorkor et d’autres formes de malnutrition.
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